Graphiste freelance au Japon, bilan de la 1e année

J’avoue, je n’ai pas été très assidue sur ce blog… En effet, je suis plutôt occupée, et je ne vais pas m’en plaindre ! Mais voilà, la fin du mois de décembre approchant, j’ai pensé qu’un article “bilan de la 1e année” s’imposait !

Il y a un tas de choses dont j’avais envie de parler de toute façon. Et je pense qu’elles vous seront utiles si vous envisagez d’être freelance au Japon.

J’ai donc tenté d’imaginer les questions que vous pouviez vous poser sur la vie d’un graphiste freelance étranger au Japon et vais y répondre dans cet article.

1) Trouver du travail, s’en sortir financièrement

De ce côté-là, tout s’est beaucoup mieux goupillé que je ne l’imaginais avant de me lancer.

Je le rappelle, je n’avais au départ que l’équivalent d’un mois de salaire de côté, ce qui est bien inférieur à la somme généralement conseillée (6 mois minimum).

Cependant, j’ai eu la chance de pouvoir récupérer deux clients de mon ancienne entreprise. Et ils m’ont passé de grosses commandes dès le début de l’année. Une chance inestimable certes, mais qui résulte aussi des bons rapports entretenus avec mon ancien patron ainsi qu’avec ces clients, satisfaits de mon travail.

Ensuite, mon activité sur les réseaux sociaux m’a permis de me faire un peu connaître d’une niche : les entrepreneurs français installés au Japon. J’avais créé des comptes Twitter et Instagram plusieurs mois avant de démarrer mon activité.

Enfin, c’est grâce à ma présence sur Behance que j’ai fait la rencontre la plus importante de cette année. Une agence de communication située à Hiroshima y a découvert mon travail et m’a contactée par le biais de connaissances en commun. Nos personnalités, nos goûts, nos valeurs, nos modes de vie s’accordant plutôt bien, ils m’ont immédiatement proposé un contrat mensuel très intéressant et confié le type de projets que je convoitais.

Conclusion : Si les compétences techniques et professionnelles sont indispensables, elles ne suffisent pas à garantir la réussite d’un graphiste freelance. La constitution d’un réseau (en ligne ou IRL) et un bon relationnel sont essentielles. Avec mon site internet et mes cartes de visite pour seuls outils de promo, je n’aurais sans doute jamais survécu financièrement cette première année.

Et malgré les termes très clichés que je viens d’employer, je n’insinue pas qu’il faille se transformer en commercial costard-cravate-sourire-ultrabright. Ce n’est pas forcément nécessaire, même au Japon.
Je me suis toujours présentée telle que j’étais : avec mes tenues habituelles, mes tatouages, mes piercings, mes blagues, mes goûts. Et ça m’attire en général de la sympathie. C’est ce qui me permet aussi de rencontrer des personnes qui me ressemblent. Des personnes qui cherchent à travailler avec des individus qui ont un style et avec lesquels elles se sentent à l’aise, sur la même longueur d’onde. Des personnes qui se préoccupent plus du travail fourni que des formes et de l’apparence.

Ceci dit, ce parti pris ne m’empêche pas de m’adapter quand c’est nécessaire, ni de veiller à suivre les règles de politesse et l’étiquette. Bref, ne prenez pas le paragraphe précédent trop au pied de la lettre, ni comme un conseil ! Mais que ce soit aujourd’hui en tant que freelance ou lorsque j’ai trouvé mon dernier emploi salarié, ma nature et mon naturel ont plutôt été des atouts.

J’ai abordé plus en détail la question de la promotion de mon activité dans cet article de mon autre blog.

2) L’administratif, la compta, la paperasse

Là aussi, je m’en faisais une grosse montagne avant de me lancer, mais pour peu qu’on se renseigne correctement (en japonais), rien de particulièrement compliqué. En tous cas, tout me paraît beaucoup plus simple et clair que lorsque j’étais freelance affiliée à la MDA en France.

1) Les démarches avant de commencer

Je pensais en avoir parlé dans un article précédent mais c’était en fait sur mon autre blog (Jud à Hiroshima).

  • Déclaration de mon activité d’auto-entrepreneuse ( 個人事業主 開業届 Kojin jigyōnushi Kaigyō todoke) au centre des impôts (que j’ai remplie en ligne à l’aide de mon appli de compta dont je reparlerai ensuite)
  • (optionnel) Inscription à la “déclaration bleue” (青色申告承認申請書 aoiro-shinkoku shōnin shinseisho) qui donne droit à un abattement fiscal de 650,000¥ (remplie avec la même appli).
  • Inscription au régime de retraite (国民年金 kokumin nenkin) et de sécurité sociale nationale (国民健康保険 kokumin kenkō hoken) auprès de la mairie de mon arrondissement.

Et c’est tout.

2) La comptabilité

Je n’y connaissais rien, n’étant pas en “déclaration contrôlée” mais en “micro BNC” lorsque j’étais freelance avec une résidence fiscale située en France.

Je paie mensuellement (2,178¥) une application de compta japonaise en ligne (Freee) et j’en suis vraiment satisfaite. De plus, leur site propose de nombreux tuto concernant l’utilisation de l’appli elle-même, agrémentés d’informations de base ou de liens vers des sites officiels traitant de comptabilité, de facturation ou de fiscalité japonaise.

À partir de là, on peut facilement se renseigner sur ses droits et ses obligations, sur les frais professionnels (経費 keihi), la déclaration de revenus (確定申告 kakutei shinkoku), la TVA (消費税 shōhizei), la collecte d’impôts sur le revenu à la source (源泉徴収 gensenchōshū).

3) 2, 3 choses à savoir

  • Pour certaines professions dont font partie les graphistes freelance, la collecte d’impôts à la source est obligatoire. Elle s’élève à 10,21%* du montant brut de vos factures (si la TVA est affichée séparément), et doit être soustraite de la somme due par le client. C’est lui qui se chargera de payer cette part aux impôts. (* pour les factures supérieures à 1,000,000¥ le taux passe à 20,42% et pour les factures inférieures à 50,000¥ ou les clients qui sont eux-mêmes 個人事業主 sans employés, ce n’est pas obligatoire).
  • Pendant les 2 premières années de votre activité, la collecte de la TVA (10% actuellement) est autorisée, mais vous n’avez pas à la reverser. Ça reste donc dans votre poche ! Attention cependant, la collecter et la reverser est obligatoire dès la 3e année, sauf si votre chiffre d’affaires est inférieur à 10,000,000¥.
  • Si l’on veut obtenir l’abattement de 650,000¥ il faut faire sa comptabilité en 発生主義 (hassei shugi : comptabilité d’engagement) et non en 現金主義 (genkin shugi : comptabilité de trésorerie) même si ça paraît un peu plus abstrait et compliqué au départ. (→ source en japonais)

4) Ce qu’on doit payer la première année lorsqu’on n’est plus salarié

La première année :

  • La cotisation retraite (国民年金 kokumin nenkin) : tous les mois.
  • L’assurance santé (国民健康保険 kokumin kenkō hoken) : tous les mois sauf en avril, mai et juin.
  • Les impôts locaux ou taxes municipales (住民税 jūminzei) : 4 fois dans l’année. Leur montant varie beaucoup suivant la région et la ville de résidence.

Le montant des deux derniers est calculé en fonction de vos revenus imposables (en gros votre chiffre d’affaire – vos dépenses professionnelles). La 1e année, ils sont indexés sur vos revenus de salarié l’année précédente.

Ensuite il faudra aussi payer les impôts sur le revenu (所得税 shotokuzei). Mais rappelez-vous, vous en aurez déjà payé une bonne partie, voire plus que ce que vous devez à chaque facture émise. Vous n’aurez donc qu’à compléter les sommes manquantes ou recevrez un remboursement (還付金 kanpukin) de la part du bureau des impôts.

3) Un nouveau mode de vie, savoir gérer son temps

Le temps libre

J’en avais déjà parlé dans cet article : “Nouvelle vie de freelance en 7 points” et pas de changement particulier depuis.

Je suis vraiment satisfaite de ce nouveau mode de vie qui me permet d’utiliser les “temps morts” pour mes passions comme l’apprentissage et la pratique de la photo (vous pouvez voir mon travail sur Tumblr ou Instagram), la musique ou mes blogs, plutôt que de rester assise derrière mon ordinateur en attendant qu’il soit l’heure de rentrer.

La raison principale pour laquelle j’ai voulu me former à la photo, c’était surtout pour pouvoir rendre mon portfolio plus professionnel. Et voici le résultat ! : Sirop de gingembre d’Hiroshima. J’en suis assez contente même s’il reste des choses à améliorer.

J’ai aussi investi dans du matériel pour me faire une sorte de home studio, même si je fais encore beaucoup de bricolage !

 

Photo portfolio sirop de gingembre

photo portfolio sirop de gingembre
Photo du sirop de gingembre pour mon portfolio

Les périodes de “charrette”

Je n’ai jusqu’à présent rarement eu l’occasion d’être débordée au point de ne plus m’en sortir, je ne pourrai donc pas aborder ce sujet cette fois-ci.

4) Les expériences négatives

C’est malheureusement presque inévitable !

Je n’ai pas eu d’impayé parce que j’ai su me prémunir contre ça (acompte et paiement du total avant livraison des fichiers pour les clients à distance ou pour ceux que je ne connais pas).

Je suis malgré tout tombée dans certains pièges que je connaissais et contre lesquels je me pensais armée.

J’ai accepté un travail de community manager pour une association organisant un festival artistique et musical à vocation caritative et ai subi pendant plusieurs mois une forme de harcèlement moral en plus de finir par fournir une somme conséquente de “travail gratuit” (en graphisme).

J’ai aussi été amenée à travailler avec une connaissance avec qui les rapports ont été assez désagréables et pénibles. Bien que son budget initial (ridicule et insultant) soit un énorme “red flag” présageant de la suite, je n’ai pas osé refuser et m’en suis mordu les doigts.

J’avais beau l’avoir lu des tonnes de fois, notamment sur l’excellent forum Kob-one (qui n’existe plus), il a fallu que je me rende compte par moi-même que ces gens qui vous promettent des merveilles, des rencontres utiles pour votre réseau avec de futurs clients potentiels sont à fuir. Les clients sérieux se contentent de vous commander du travail et de vous payer pour. Vraiment.

Ensuite, je m’aperçois que travailler avec des clients directs est particulièrement chronophage. On passe beaucoup de temps en création de devis et négociations (parfois sans suite), échanges, communication, pédagogie, corrections / modifications, avec des personnes qui souvent ne connaissent ni les tarifs ni le métier. Heureusement ça n’a représenté qu’une toute petite partie de mon chiffre d’affaire cette année.

Conclusion : Il est important de se renseigner auprès de freelances plus aguerris sur ce que sont ces “red flags”. Savoir les repérer même lorsqu’ils se présentent sous une autre forme et surtout en tenir compte pour prendre les bonnes décisions. Ne pas hésiter à refuser des boulots, ne pas perdre son temps avec les clients qu’on ne “sent” pas et en garder pour prospecter.

J’ai parlé plus en détail des relations clients dans cet article : “Graphiste freelance : la gestion des clients

5) Les problèmes auxquels je n’avais pas pensé

Alimenter mon portfolio.

Lorsque je travaillais en agence, celle-ci gérait souvent la partie impression. Il était donc facile de prendre en photo les produits finis afin de les publier dans sur mon site ou sur Behance.

En revanche, depuis que je suis freelance, je me contente la plupart du temps d’envoyer les fichiers à imprimer aux clients. Je n’ai donc pas ajouté beaucoup de travaux à mon portfolio cette année.

6) Ce que je maîtrise mieux au bout d’un an

Mes principales bêtes noires étaient les conversations téléphoniques et l’utilisation du keigo (japonais honorifique, etc).

1) Le téléphone

Je n’ai finalement pas eu tant de conversations téléphoniques / visioconférences Skype que ça. Si en plus je connais bien mon interlocuteur, je me sens relativement à l’aise. Mais cela a suffi à me faire gagner en confiance et je m’en sors désormais plutôt pas trop mal.

2) Le Keigo

Je comptais passer du temps à bûcher mes bouquins de Japonais Business et Japonais keigo, mais je n’ai pas été aussi assidue que je l’avais prévu.

Cependant, mes interactions se sont finalement presque limitées à 4 entreprises*. Une étrangère (en français ou en anglais), deux avec lesquelles on se connaît suffisamment pour parler dans un Japonais assez relax, et une nouvelle où on m’a vite fait comprendre qu’on pouvait se passer de ces règles et qu’il fallait que je me détende.

(* côté clients directs, je n’ai eu que des étrangers francophones ou anglophones).

En fait, la seule fois où mes lacunes en keigo m’ont posé problème c’est avec la personne qui m’a harcelée moralement. En effet, lorsque je lui ai annoncé que je ne travaillerais pas avec elle l’année suivante, elle m’a soudainement reproché mon “Japonais grossier” qui selon elle m’empêcherait de signer des contrats avec des entreprises japonaises. (Il se trouve que c’est plutôt elle que tout le monde évite comme la peste dans la ville !)

7) Le fun du boulot, les chouettes rencontres

J’ai eu l’occasion de travailler sur des projets vraiment sympa cette année ! Certains sont encore en cours cependant. Nous travaillons actuellement, en collaboration avec le patron d’IC4DESIGN, qui est vraiment très drôle, et l’agence dont je parlais en début d’article sur des packagings de chocolats pour la St Valentin. C’est la grosse rigolade à chaque réunion !

Je suis aussi vraiment heureuse d’avoir fait la rencontre de l’agence que je viens de mentionner à nouveau. Le patron (à peine plus âgé que moi), malgré une jeunesse plutôt débridée, a su créer une entreprise prospère qui signe des contrats avec d’énormes entreprises au Japon.

Il a aussi réussi à monter une équipe faite de personnes aux parcours variés et parfois un peu chaotiques, mais a su en tirer le meilleur. À la politesse de mascarade, les excès de “tatemae” (attitude de façade) et les déguisements formels, il préfère les rapports francs. Enfin, il est pour le télétravail et la liberté de ses employés.

Et en tant qu’étranger, dans un Japon où le monde du travail est encore souvent trop rigide, c’est agréable de travailler avec des personnes comme ça !

8) Les traditions japonaises : les cartes de fin d’année

Comme la tradition japonaise le veut j’ai posté en fin d’année des 年賀状 (nengajo : cartes de vœux pour le nouvel an).

Je n’avais finalement pas recontacté les personnes dont je possédais les cartes de visite pour annoncer mon activité en freelance. Mon copain me l’avait déconseillé. Je comptais le faire par e-mail mais il m’avait recommandé de le faire par téléphone, ce qui m’avait découragée.

En revanche, le début d’année est un moment spécial où on est “pardonné de spammer” grâce à ces fameuses cartes. J’en ai donc profité, après avoir classé toutes les cartes de visite accumulées dans un classeur.

J’en ai aussi envoyé aux amis, à la belle-famille et aux clients avec lesquels j’ai travaillé cette année ceci-dit.

 

Conclusion

Un bilan vraiment positif !

En terme de chiffre d’affaire j’ai atteint l’objectif que je m’étais fixé pour la 2e année.

Je ne regrette vraiment pas de m’être mise à mon compte et j’espère faire encore mieux l’année prochaine !


Liste de liens sur mes deux blogs en rapport avec le sujet :

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