L’enfer des modifications absurdes et interminables, et du client tyran, tout graphiste a connu ça au moins une fois au cours de sa carrière. Que ce soit en tant qu’employé ou que freelance.
Mais aujourd’hui, on va voir comment il est possible d’éviter d’en arriver là. Car en fait le problème ne vient pas toujours, ou pas seulement, du client. En effet, l’attitude du graphiste dès le début de la prestation, sa manière de mener le projet, de gérer et anticiper les demandes de modifs, tout comme sa manière d’y répondre, jouent un rôle déterminant dans le bon déroulement ou non d’une collaboration graphiste-client.
La situation typique
Le client vous demande de déplacer un bloc de 10px vers la gauche, d’écrire le titre 10 fois plus gros, en rouge avec contour jaune et ombre portée. Vous savez sans même avoir besoin d’essayer que le résultat sera catastrophique. Non seulement d’un point de vue esthétique, mais également en termes d’efficacité à délivrer le message. Et il est tentant de se braquer et de remettre le client en place en lui rétorquant qu’il ne connaît rien au métier et qu’il devrait vous laisser faire votre travail.
Mais pensez-vous vraiment que le client va répondre « ah oui, c’est vrai pardon ! où avais-je la tête…» ? Il y a de grandes chances que lui aussi se braque, que la situation s’envenime, et que vos relations se détériorent.
Le client n’est généralement pas pénible pour le plaisir d’être pénible. C’est simplement que quelque chose ne lui convient pas. Et il a tout à fait le droit de ne pas être entièrement satisfait de votre première proposition. Cependant, n’étant justement pas du métier, il a probablement du mal à définir précisément ce qui le gêne, ou ne sait peut-être pas comment l’exprimer. Et il ignore sans doute aussi comment sont répartis les rôles dans votre collaboration.
Éviter le conflit et guider le client
Alors aidez votre client plutôt ! Demandez-vous, et demandez-LUI surtout, pourquoi il pense cette modification nécessaire ? Demandez-lui ce qui le dérange. Et alors, avec votre expertise et votre connaissance du métier, vous pourrez apporter une solution graphique bien plus adaptée.
Ce ne sera sûrement pas du rouge ni une ombre portée. Ce sera peut-être un changement de mise en page plus global. Mais vous saurez répondre aux attentes de votre client (qui a maladroitement tenté de trouver une solution par lui-même), et le satisfaire. Par la même occasion, vous aurez réussi à montrer que vous savez l’écouter, et surtout que vous êtes maître du projet, mais aussi qu’il peut compter sur vous. Il comprendra que vous n’êtes pas qu’une main dirigeant une souris et que votre savoir-faire ne se limite pas à la maîtrise des logiciels.
Et c’est normalement pour ça qu’il a fait appel à vous et vous paie !
Accompagner le client lors des demandes de retours
Vous devez aussi guider votre client lorsque vous lui demandez des retours. Posez des questions qui l’aideront à donner son avis. Expliquez votre travail, argumentez en reprenant des éléments du brief. Et récapitulez au fur et à mesure les étapes à venir afin que le client sache se situer dans le déroulement du projet. Mais surtout : ne vous contentez pas de balancer votre maquette en le laissant se débrouiller ! Le client ne sait peut-être pas exactement ce que vous attendez de lui.
J’ai aussi pris l’habitude de conseiller à mes clients de ne pas répondre immédiatement. Au contraire, je leur demande de prendre le temps et de laisser un peu reposer. Je leur recommande aussi d’imprimer si possible, et de regarder sur différents écrans (ordinateur, smartphone, etc).
Préparer le terrain dès la phase de brief
Mais avant cela, vous devez aider le client à exprimer ou formuler ses besoins. En effet, il n’a peut-être pas l’habitude de travailler avec des graphistes, ou a pu prendre de mauvaises habitudes avec d’autres dans le passé.
Et ce sera une excellente manière pour vous de montrer votre valeur ajoutée.
Car il est en fait tout à fait possible de prévenir une grande partie des modifications. Pour cela, vous devez poser les bonnes questions dès le départ, pendant la phase de brief, afin de cibler au plus juste. Même lorsqu’ils ont préparé un brief, je leur envoie un questionnaire complet qui m’aide à mieux cerner leur demande.
Vous devez également savoir à quels moments-clés impliquer le client ou lui montrer l’avancement du travail. N’attendez pas d’avoir finalisé votre composition graphique pour la lui présenter ! Ne proposez pas 50 versions et variantes, et surtout ne montrez que celles que vous aimeriez voir retenues.
Expliquer votre processus de travail et en rappeler les grandes lignes lors des premiers contacts avec un client permet en général de partir sur de bonnes bases. Ça peut même le rassurer.
Une attitude agréable mais pro
En tant que prestataire, on a tout à gagner à rester amical, positif, réactif et proactif.
Souvent lorsque je reçois une demande de modifications qui risquent de gâcher le travail, je prends les devants. Je propose de moi-même une autre solution, tout en argumentant et en mettant en avant les avantages et les points positifs de celle-ci. Suivant la personne en face et le travail que ça implique, je montre parfois aussi une version fidèle à ce qui a été demandé. Ça permet au client de comparer, et d’accepter plus facilement votre proposition.
Mais il est important d’éviter de s’agacer, de rester calme, courtois, objectif, rationnel, et de se montrer arrangeant et serviable. Faites attention à votre ton et au langage que vous employez ! (Evitez les “c’est moche, c’est n’importe quoi”, etc). Si vous ou le client vous laissez emporter sur le terrain émotionnel, il vaut mieux vite recadrer les choses au plus vite pour rester dans une relation professionnelle.
Si vous mettez en place une relation saine dès le début, petit à petit, le client apprendra à mieux formuler ses demandes et à vous faire confiance sur leur interprétation graphique. Il va comprendre que vous êtes professionnel et bienveillant, et pas juste un artiste incompris et arrogant qui veut n’en faire qu’à sa guise.
Les cas désespérés
Si vraiment aucune communication n’est possible et que le client s’entête, rangez votre orgueil et votre amour-propre et réalisez les modifs telles quelles pour en finir au plus vite. Et ne retravaillez plus avec lui ni avec ce genre de client ! C’est avec l’expérience que vous sentirez quand cette stratégie est préférable plutôt que d’insister, s’acharner et perdre du temps et donc de l’argent.
Pendant la période du confinement, j’ai dû faire face comme beaucoup à une baisse d’activité. Je me suis alors inscrite sur une plateforme de mise en relation freelance / clients. Et j’ai accepté une mission bien en dessous de mes tarifs habituels pour un logo.
Cependant la cliente était vraiment sympa, et ça s’est globalement bien passé. Mais après les premières propositions, elle a voulu partir dans une toute autre direction. Et sachant ce que j’allais gagner au final, j’ai préféré faire exactement ce qu’elle demandait. Elle était satisfaite, ça a été vite, et au final j’ai réussi à travailler à mon tarif horaire.
Hey Judith,
Thanks for sending over the logo and style guide. I released the funds so you should get it today. It was fantastic working with you, I really appreciate how patient you were with us throughout the whole processes and pivots the client made. I’ll let you know again when we need your help!
Thanks,
Mais évidemment, je n’ai pris aucun plaisir à travailler sur ce logo. Et vous ne le verrez jamais dans mon portfolio ! 😀
Savoir repérer les clients à problème
Avec l’expérience vous saurez rapidement repérer ces clients avant d’accepter de travailler avec.
Il existe tout un tas d’indices (ou “red flags”) :
- Leur manière de vous aborder la première fois, leur manière d’écrire ou de s’exprimer.
- Le mail générique qui a dû être envoyé à une cinquantaine d’autres graphistes. Préférez un client qui vous contacte parce qu’il aime votre travail, ou parce que quelqu’un vous a recommandé à lui. Un client qui souhaite travailler avec vous en particulier vous respectera davantage.
- Ceux qui ont des budgets ridicules avec des exigences démesurées et qui marchandent dès le début. Ce sont toujours les plus difficiles à satisfaire.
Attirer les bons clients
Et si vous n’attirez que des clients potentiellement problématiques avec des petits budgets ça peut aussi venir de votre positionnement et de votre offre, de votre manière de vous présenter vous et votre activité sur votre site, ou de ce que vous affichez dans votre portfolio.
Ne publiez que les travaux dont vous êtes fiers. Ne montrez que des projets pour lesquels vous aimeriez qu’on fasse à nouveau appel à vous.
Récapitulatif
Comme je suis partie du moment de crise pour remonter à ce qui aurait pu être fait en amont, voici une liste chronologique :
- Avoir un site qui reflète son positionnement, un portfolio avec des travaux susceptibles d’attirer la clientèle que l’on cible.
- Savoir repérer les mauvais clients et refuser de travailler avec.
- Poser les bonnes questions pendant la phase de brief pour partir dès le départ dans la bonne direction. Vous éviterez ainsi d’avoir à faire 50 propositions et allers-retours de corrections.
- Expliquer clairement sa manière de travailler.
- Présenter le travail régulièrement et guider le client pour obtenir des retours de valeur.
- Savoir réagir avec calme et professionnalisme aux demandes de modifications.
C’est en tous cas ma manière de procéder, et en presque deux ans en tant que graphiste indépendante, je n’ai pas eu de clients mécontents. Ils sont même généralement ravis de ma manière de travailler. J’ai donc récemment commencé à en recontacter certains, et à rassembler et publier leurs témoignages.
Et vous ? Rencontrez-vous souvent des difficultés ? Avez-vous modifié votre manière de gérer les clients et les modifications au fil des années ?